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La Saint-Barthélémy dans le roman populaire

 

« Les Pardaillan » (du nom d’un compagnon d’Henri IV),
de Michel Zévaco donnent du massacre une vision réaliste.

Puristes et historiens rigoureux ne nous en voudront pas d’emprunter à un romancier populaire du XIXème siècle des extraits de son récit épique du massacre de la Saint-Barthélémy. Michel Zévaco, né en Corse en 1860, fait partie de la lignée des Eugène Sue (« Les mystères de Paris »), Paul Féval (« Le Bossu ») et autre Ponson du Terrail (« Rocambole »), dont les feuilletons firent le succès des journaux de l’époque. Tous n’ont pas connu la gloire littéraire, en particulier Zévaco qui est le seul des quatre à n’avoir pas eu droit à la reconnaissance du « Petit Larousse », même encore de nos jours.

Après tout, ces tâcherons du roman populaire et des récits de cape et d’épée, qui devaient fournir à leur employeur le feuilleton quotidien dont on attendait qu’il entretienne le suspense jusqu’au lendemain, faisaient pourtant le même métier qu’Alexandre Dumas. Leur style et leur imagination n’ont pas grand-chose à envier au savoir-faire du père des « Trois mousquetaires ». Comme lui, ils ont su prendre quelques libertés avec l’histoire, mais c’était pour la bonne cause, celle d’un genre littéraire qui a servi à populariser la lecture.

Zévaco, un paria ?

Dans ce lot d’écrivains au long cours, si Michel Zévaco fait un peu figure de paria c’est, sans doute, parce que la dans la première partie de sa vie, il fut un agitateur politique et un redoutable polémiste qui ne s’embarrassait guère de formules de courtoisie. Tour à tour socialiste révolutionnaire puis anarchiste libertaire, il a prêté sa plume acérée à « L’Egalité » et à la « Petite République socialiste » de Jaurès qu’il fréquenta assidûment. Fasciné par Louise Michel, qu’il a elle aussi côtoyée, il tâtera à deux reprises de la paille humide des cachots pour ses pamphlets virulents contre les gouvernants de l’époque.

Puis, à partir de 1896 et jusqu’à sa mort (en 1918), il deviendra un romancier respectable dont neuf de ses ouvrages seront publiés en feuilleton par « Le Matin », l’un des plus lus des quotidiens de ce temps-là. « Les Pardaillan », le plus célèbre de ses romans avec « Le Capitan », parut pour la première fois dans « La Petite République » de Jaurès et il fut repris en 1912 dans « Le Matin ». Classé « à proscrire » dans la liste des ouvrages censurés établie par l’abbé Béthléem, « Les Pardaillan » est, à notre connaissance, le seul livre qui consacre une telle place à l’une des pages les plus noires de notre histoire, le massacre de la Saint-Barthélémy.

Il y eut bien un Pardaillan

On s’interroge encore de nos jours sur l’origine des sources auxquelles Zévaco aurait puisé pour trouver l’idée de ce roman et, surtout, pour créer ses deux personnages principaux, les Pardaillan père et fils, deux preux Chevaliers « au service de la veuve et de l’orphelin ». Dans la préface de la plus récente des rééditions de cet ouvrage (collection Bouquins, chez Robert Laffont.1988), on est affirmatif : « Il ne s’agit pas d’un personnage historique, mais bel et bien d’une création romanesque ».

Et pourtant. Dans le département du Lot-et-Garonne, une petite commune porte le nom de… Pardaillan. Elle abrite les ruines d’un château féodal du XIIIème siècle qui fut occupé par un seigneur de Pardaillan dont le véritable nom était : Pierre d’Escodeca de Boisse. A quelques encablures de là, Henri de Navarre a séjourné au château de Monteton, propriété d’une famille protestante. Et c’est de Duras, la petite ville voisine, que les exilés huguenots faisaient venir jusqu’à leur retraite hollandaise le vin des Côtes de Duras dont on marquait les rangs qui leur étaient réservés avec une tulipe.

Alors, y avait-il un Pardaillan dans l’entourage du Béarnais ? Oui, répond sans hésiter l’historien Jules Michelet qui relate l’exécution, au Louvre, des compagnons du futur Henri IV : « Le plus vaillant de ces vaillants, Pardaillan, que la plupart n’auraient pas regardé en face, amené là sans épée à l’abattoir, fut saigné comme un mouton ». Cela ne rejoint-il pas le témoignage d’Agrippa d’Aubigné qui, dans son « Histoire Universelle », évoque lui aussi la présence d’un baron de Pardaillan parmi les proches d’Henri de Navarre ? L’écrivain calviniste ne fut-il pas lui-même un compagnon d’armes d’Henri IV ? La réalité rejoint parfois la fiction.

Roger Pourteau

* Outre ses romans les plus connus que sont « Les Pardaillan » et « Le Capitan », Michel Zévaco a également écrit : « La Reine Isabeau », « Les Mystères de la Tour de Nesle », « Le Pré-aux-Clers », « Le Fils de Pardaillan », « Nostradamus », « L’Héroïne », « L’Hôtel Saint-Pol », « Borgia », « Le Pont des Soupirs », « Fleurs de Paris », « Triboulet », « L’Ombre fatale », « Le Chevalier de la Barre » etc.

Dans le Bordelais, il existe également deux domaines viticoles qui portent le nom du héros de Zévaco. L’un, le Château Pardaillan, est situé à Cars, dans le Blayais, et il a appartenu, au XVIIIème siècle, à la famille d’Aulède de Pardaillan. Aujourd’hui, on y produit l’un des meilleurs crus des Côtes de Blaye. Une seconde propriété, nommée Château de Pardaillan, est implantée à Lugon, une autre commune girondine, et elle a (depuis le XVIème ) les mêmes origines familiales que la précédente. Depuis trois siècles, elle appartient aux de Roquefeuil qui y produisent du bordeaux supérieur. Mais que d’authentiques Pardaillan en définitive ! Comme un grand cataclysme

Extraits du long récit de la Saint-Barthélémy
par Michel Zévaco

C’est dans le Livre 2 des « Pardaillan », intitulé « L’épopée d’amour », que se trouve le récit du massacre de la Saint-Barthélémy. Tout commence au chapitre XXVI (« La nuit terrible ») pour se terminer 140 pages plus loin, au chapitre XLVIII qui se déroule sur la colline de Montmartre. Les deux héros du roman, les Pardaillan père et fils, ont Paris à leurs pieds et ils le voient ainsi près de vingt-quatre heures après le déclenchement de la tragédie :

« Dans le crépuscule qui déjà estompe les choses, au pied de la colline, au-delà des champs, fusent des jets de flammes ; dans la nuit qui vient, les flammes dardent des fusées écarlates d’où montent des millions d’étincelles (…) Une rumeur sourde, un grondement qui ne s’éteint jamais, une clameur faite de centaines et de milliers de clameurs, plaintes, cris, vociférations, menaces, prières, hurlements, toutes les voix de l’horreur, toutes les voix de l’épouvante, toutes les voix de la fureur…c’est la rumeur qui monte de Paris.

La Seine rouge de sang

Et les mugissements inapaisables des cloches (…) Que de fumées rouges dans le crépuscule ! Que de plaintes ! Que de cris de souffrance ! (…) C’est un râle de capitale qui agonise ! C’est le tragique décor de l’infamie se noyant dans le sang ! Et là-bas… ce ruban rouge qui sort de Paris !... Est-ce le soleil à son couchant qui donne à la Seine ces teintes pourpres ? Non !... La Seine est rouge de sang ! Et elle coule, comme le sang peut couler d’une insondable blessure (…) »

Zévaco fait preuve de lucide prémonition en concluant de cette façon : « Jamais cela ne pourra sortir de la mémoire de l’humanité. Jamais ». Pour le feuilletoniste, tout avait commencé au soir du 22 août 1572, l’avant-veille du massacre, quand Catherine de Médicis s’exclama avec une joie cruelle en se retirant dans ses appartements : « Bonne nuit, messieurs de la Réforme ; je vais prier pour vous… ». Un peu plus tard, elle convaincra Charles IX, son fils, d’ordonner l’assassinat de l’amiral de Coligny. Selon Zévaco, la réponse du roi fut : « Vous le voulez (…), vous le voulez tous !... Eh bien tuez l’amiral ! Tuez mon hôte ! Tuez celui que j’appelle mon père ! Mais, par l’enfer, tuez aussi tous les huguenots de France afin qu’il n’en reste pas un pour me reprocher ma félonie ! »

Le soir du 23 août, « l’ombre de l’Inquisition catholique planait sur Paris », écrit l’auteur qui situe vers trois heures du matin l’épisode du tocsin sonné par la « La Guisarde » (la lourde cloche de Saint-Germain-l’Auxerrois), une besogne dont Catherine de Médicis aurait personnellement chargé son astrologue Ruggiéri.

Tous les tocsins de Paris

« La cloche, la grosse cloche de Saint-Germain-l’Auxerrois hurlait, gueulait, mugissait, rugissait, comme folle, exaspérée, frénétiquement secouée par le génie des catastrophes (…) Près de Saint-Germain, une autre cloche se mit à hurler, puis, plus loin, une autre, puis d’autres, toutes les cloches, tous les tocsins de Paris secouant sur la ville les rafales monstrueuses de leurs sonorités éperdues (…) En bas, des ombres apparaissaient, qui couraient, se heurtaient, vociféraient : des éclairs jaillissaient des épées ; des torches, des centaines de torches, des milliers de torches s’allumaient, et la ville paraissait toute rouge, tout embrasée par les feux de l’enfer soudain ramenés sur la terre (…) Des gémissements horribles fusaient vers les sérénités du ciel immense (…) Le grand carnage huguenot, la grande hécatombe humaine venait de commencer ».

Ce dimanche matin 24 août 1572, on massacre jusque dans les couloirs du Louvre les gentilshommes protestants venus assister au mariage d’Henri de Navarre : « C’était épouvantable et cela dépassait les limites des conceptions de l’horreur (…) Là, dans cette cour, il y avait plus de deux cents cadavres, tombés au hasard, les uns en tas, les autres isolés, dans toutes les positions macabres que peut prendre la mort. La plupart de ces cadavres étaient à demi-nus, les malheureux gentilshommes ayant été surpris en plein sommeil. Or, de cette cour sinistre, de ce charnier abominable, montaient des éclats de rire frais et sonores, des rires féminins (…) Des femmes, des jeunes filles allaient et venaient (…) d’un cadavre à l’autre ».

Tuez-les tous !

L’atroce assassinat de l’amiral de Coligny par les soudards du duc de Guise, au petit matin du 24 août, est narré sur près de cinq pages et l’on apprend au passage que « dans la rue de Béthisy (là où se trouvait la demeure de Coligny) les maisons qui avoisinaient l’hôtel étaient remplies de huguenots. Mais là, la besogne était déjà faite : trois de ces maisons flambaient et deux cents cadavres jonchaient la chaussée ». Dans tout Paris, où l’on massacrait « tout ce qui ne criait pas « Vive la messe » et n’avait pas une croix blanche au chapeau », le massacre était généralisé et Zévaco en fait une description poignante. Comme s’il en avait été le témoin oculaire :

« Paris était comme un vaste champ de bataille qu’il était impossible de traverser sans se heurter à des ennemis furieux, sans risquer la mort à chaque seconde. Pourtant, il n’y avait pas de bataille : il y avait tuerie, carnage. Tous ceux des huguenots qui eussent pu organiser un semblant de défense, avaient été tués dès la première minute. Maintenant on tuait des bourgeois, des gens du peuple, des femmes, des vieillards, des enfants, des êtres sans défense (…)

Toute personne qui était suspecte aux yeux du voisinage, qui avait témoigné quelque sympathie à la Réforme, ceux-là, protestants ou non, étaient traqués ; la même hideuse scène se reproduisit sur tous les points de Paris. L’infortuné –homme ou femme- voyait subitement entrer chez lui une bande de vingt à trente forcenés. On lui courait sus. Le pauvre diable se sauvait, sautant quelquefois par la fenêtre. Alors, la chasse infernale commençait jusqu’à ce que le suspect tombât ou se trouvât acculé ; les coups de poignard le labouraient, on traînait son corps jusqu’au feu le plus voisin, ou jusqu’à la Seine, et tout était dit !...

Un ouragan de bronze

Au jour venu, le massacre avait pris des proportions fantastiques. Cela devait durer ainsi pendant six jours ! En province, dans les grandes villes, les mêmes scènes d’horreur se reproduisaient… près d’un mois plus tard, on tuait encore dans certaines localités éloignées ! (…)

Les hommes devinrent des carnassiers. On vit des femmes boire du sang des victimes. Et toujours ce cri sinistre de « Vive Jésus ! Mort aux parpaillots ! » Ce cri vous entrait dans la tête, affolant, grinçant, comme une vrille. La rumeur était indescriptible. Toutes les cloches mugissaient à la fois, sans arrêt, sans répit. Cela formait au-dessus de Paris comme un ouragan de bronze. Seul, le gros bourdon de Saint-Germain-l’Auxerrois s’était tu après avoir donné le signal. Mais on n’avait plus besoin de lui.

L’énorme clameur des cloches, avec les hurlements des carnassiers, avec les plaintes déchirantes des victimes, les pétarades des pistolets, les sourdes détonations des arquebuses, tout cela ne formait qu’une voix où il y avait du grondement de tonnerre, du mugissement d’océan, du crépitement de pluie enflammée, du sifflement de rafales, comme si les éléments fussent devenus insensés ! On respirait une odeur âcre et fade, on respirait des chairs grillées, du sang, on ne voyait que du feu, de la fumée, et dans ces tourbillons de fumée, des visages hideux, des rires féroces, des yeux terribles, comme des ombres qui couraient l’éclair rouge d’un poignard au poing.

Du sang ! du sang ! il y en avait partout, le long des murs, en larges éclaboussures, sur les chaussées en flaques gluantes, dans les ruisseaux épaissis qui roulaient lourdement (…) Tout, dans Paris, offrait l’image d’une ville dévastée par quelque grand cataclysme ; des centaines de maisons flambaient ; des milliers de cadavres jonchaient les rues ; dans les carrefours, s’élevaient des bûchers ou brûlaient des corps d’hérétiques ; des processions de prêtres chantant le Te Deum traversaient par moments l’épouvantable champ de carnage, aux cris de : « Vive la messe ! Mort aux parpaillots !... »

Des scènes d’épouvante

Et puis, au hasard de l’errance de ses deux héros (les Pardaillan) dans un Paris en proie à la folie, Zévaco multiplie les scènes atroces, comme celle-ci qui se déroule au coin de la rue Montmartre : « Passait une sorte de procession féminine, entourée de furieux aux visages convulsés. Ces femmes avaient la croix blanche cousue sur leurs poitrines. Or, spectacle étrange, vision de cauchemar, incroyable et hideusement vraie, ces femmes portaient sur leur dos une hotte de chiffonnier. Et dans chacune de ces hottes, il y avait un ou deux petits enfants égorgés !... C’étaient les petits huguenots que ces femmes portaient à la Seine ! »

Des scènes d’épouvante scandées par le mugissement des cloches, un élément obsessionnel dans le récit de Zévaco : « Le gros bourdon de Notre-Dame lui-même s’était mis de la partie. Saint-Etienne, Saint-Eustache, Saint-Germain-des-Prés, Saint-Jacques-la-Boucherie, Saint-Jean-en-Grève, Notre Dame-de-la-Paix, Saint-Roch, Saint-Vincent, Saint-Nicolas-du-Chardonnet, Saint-Paul, Saint-Médard, Saint-Séverin, Saint-Marcel, Saint-Honoré, Saint-Merry, tous les tocsins, toutes les églises, tous les saints, de leurs gueules de bronze hurlaient, criaient, vociféraient : « Tuez ! tuez ! tuez ! ».La tragédie commémorée à l’Oratoire le 27 août

Fidèle à la tradition, qui date de plusieurs années, la paroisse de l’Oratoire commémorera, le 27 août prochain, l’anniversaire du massacre de la Saint-Barthélemy. Notre église, en effet, est restée très attachée à la célébration de ce tragique évènement. Un fois encore, c’est le pasteur Philippe Vassaux -l’un des meilleurs connaisseurs de cette page sombre de notre histoire- qui présidera le culte anniversaire. Ensuite, les participants sortiront du temple pour se rendre côté rue de Rivoli où ils déposeront une gerbe au pied de la statue érigée à la mémoire de l’amiral de Coligny.

 

 

 

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Article tiré du bulletin de l'Oratoire du Louvre à Paris

 

 

 

 

 

 

 

 

La Saint-Barthélémy

La grande hécatombe humaine venait de commencer.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Michel Zévaco

Michel Zévaco :
de l’anarchie au roman-feuilleton.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Saint-Barthélémy : Sous les fenêtres de l’amiral de Coligny les cadavres s’amoncelaient

Sous les fenêtres de l’amiral de Coligny les cadavres s’amoncelaient

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Saint-Barthélémy : Tout ce qui n’avait pas une croix blanche au chapeau était massacré

Tout ce qui n’avait pas une croix blanche au chapeau était massacré


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